van Gogh's letters - unabridged and annotated
 
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Letter from Vincent van Gogh to Theo van Gogh
Arles, 18 March 1888
Relevant paintings:


"Two Lovers (Fragment)," Vincent van Gogh
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Mon cher Theo,

Voici un petit mot pour Bernard et pour Lautrec, auxquels j'avais formellement promis d'écrire. Je te l'envoie pour que tu le leur donnes à l'occasion, cela ne presse pas le moins du monde, et cela sera pour toi une raison de voir ce qu'ils font et d'entendre ce qu'ils disent, si tu veux. -
Mais qu'est-ce que fait Tersteeg ? rien ? Si tu n'as pas de réponse, si j'étais de toi je lui écrirais un mot très court et très calme, mais exprimant que tu es stupéfait de ce qu'il ne t'ait pas répondu. (+)
Je ne crois pas qu'il faille insister par une nouvelle lettre, expliquant encore une fois la chose. Il faut être prudent avec lui, mais ce qu'il faut éviter c'est de se laisser traiter comme si l'on était mort ou hors la loi. Suffit.
- Espérons que dans l'intervalle tu aies reçu sa réponse.
J'ai reçu un mot de Gauguin, qui se plaint du mauvais temps, qui souffre toujours et qui dit que rien ne l'agace plus que le manque d'argent parmi la variété des contrariétés humaines et pourtant il se sent condamné à la dèche à perpétuité.
Ces derniers jours vent et pluie, j'ai travaillé chez moi à l'étude dont j'ai fait un croquis dans la lettre de Bernard. Je voulais arriver à y mettre des couleurs comme dans les vitraux et un dessin à lignes fermes.
Suis en train de lire Pierre et Jean, de Guy de Maupassant, c'est beau. As-tu lu la préface, expliquant la liberté qu'a l'artiste d'exagérer, de créer une nature plus belle, plus simple, plus consolante dans un roman, puis expliquant ce que voulait peut-être bien dire le mot de Flaubert: le talent est une longue patience, et l'originalité un effort de volonté et d'observation intense ?
Il y a ici un portique gothique, que je commence à trouver admirable, le portique de St.-Trophime.
Mais c'est si cruel, si monstrueux, comme un cauchemar chinois, que même ce beau monument d'un si grand style me semble d'un autre monde, auquel je suis aussi bien aise de ne pas appartenir qu'au monde glorieux du Romain Néron.
Faut-il dire la vérité, et y ajouter que les zouaves, les bordels, les adorables petites Arlésiennes qui s'en vont faire leur première communion, le prêtre en surplis qui ressemble à un rhinocéros dangereux, les buveurs d'absinthe, me paraissent aussi des êtres d'un autre monde ?
C'est pas pour dire que je me sentirais chez moi dans un monde artistique, mais c'est pour dire que j'aime mieux me blaguer que de me sentir seul. Et il me semble que je me sentirais triste, si je ne prenais pas toutes choses par le côté blague.
Tu as encore eu de la neige en abondance à Paris, à ce que nous raconte notre ami L'lntransigeant. Ce n'est pourtant pas mal trouvé qu'un journaliste conseille au général Boulanger de se servir désormais pour donner le change à la police secrète, de lunettes roses, qui selon lui iraient mieux avec la barbe du général. Peut-être, cela influencerait-il d'une façon favorable, déjà tant désirée depuis si longtemps, le commerce des tableaux.
Nous allons néanmoins un peu voir ce qu'il y a dans ce fameux monsieur Tersteeg. Faut qu'il se prononce vraiment, dans l'intérêt des copains nous sommes à ce qu'il me semble un peu obligés de ne pas permettre que l'on nous considère comme des morts. Il ne s'agit pas de nous, mais il s'agit de l'affaire des impressionnistes en général, donc ayant été interpellé par nous, il nous faut sa réponse.

Et a-t-il calculé comme nous l'effet produit de baisse sur les tableaux de grand prix actuellement, baisse qui, il me semble, se produira probablement dès que les impressionnistes auront la hausse. Remarquez que les vendeurs de tableaux chers s'abîment eux-mêmes en s'opposant pour des raisons politiques à l'avènement d'une école, qui depuis des années a montré une énergie et une persévérance dignes de Millet, Daubigny et d'autres.
Mais fais-moi savoir si Tersteeg t'a écrit, et ce qu'il pourrait t'avoir dit. Je ne ferai rien là-dedans sans toi. Bonne chance et poignée de main,
t. à t. Vincent.
Ci-inclus avec les autres lettres celle de Gauguin, pour que tu les lises.

(+)Je dis personnellement parce que quand bien même qu'il ne me répond pas à moi - à toi - il doit répondre, et tu dois insister pour avoir une réponse, sans cela tu y perdrais de ton aplomb, et au contraire l'occasion est excellente pour en prendre.


At this time, Vincent was 34 year old
Source:
Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written 18 March 1888 in Arles. Translated by Robert Harrison, edited by Robert Harrison, number 470.
URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/18/470-fr.htm.

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